LA CONSTRUCTION EUROPEENNE : REALITES ET PERSPECTIVES
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INTRODUCTION : Au milieu du 20e siècle, l’hégémonie européenne sur le monde est sévèrement entamée par les conséquences désastreuses des première et deuxième guerres mondiales. Dans sa tentative de retrouver son lustre d’antan, l’Europe occidentale entreprend une politique de reconstruction avec le soutien bienveillant des Etats-Unis, opposés idéologiquement à l’URSS, sur le terrain. Pour ce faire, le vieux continent choisit l’intégration économique progressive des différents espaces qui le composent et qui s’exprime aujourd’hui à travers l’Union Européenne (UE).
Cette communauté économique régionale (CER) aux objectifs ambitieux a une longue histoire au cours de laquelle des réalisations multiformes témoignent la vitalité de l’UE. Toutefois, la construction de l’espace européen se heurte à des problèmes variés qui constituent ainsi l’équation du devenir de cette entreprise.
I) HISTORIQUE ET FONCTIONNEMENT DE L’UE
1°) Historique de l’Union Européenne.
A°) Origines de l’UE : L’idée d’une Europe unie a émergé depuis la période d’entre les deux guerres. En effet, depuis les années 1920, le mouvement Pan Europa aspirait à créer les « Etats-Unis d’Europe ». Ensuite, en 1929-1930, Aristide Briand propose une Fédération Européenne. Mais, ce projet ne prend forme qu’au lendemain de la seconde guerre mondiale dans un contexte de guerre idéologique entre l’URSS et les USA. Ces derniers engagés dans une politique d’endiguement du communisme, lancent en 1947 le Plan Marshall assujetti à la mise en place d’un organisme chargé d’utiliser les fonds et de libéraliser les échanges. C’est dans ce cadre que l’OECE est créée. Mais, voulant aller plus loin que cette « Europe américaine », les Français Jean MONNET et Robert SCHUMAN proposent un rapprochement franco-allemand par la mise en commun des ressources en charbon et en acier des deux pays dans une organisation ouverte aux autres pays européens. Cet appel du 9 mai 1950 est accueilli favorablement par l’Allemagne, la France, l’Italie et les trois nations du BENELUX qui paraphent le 18 avril 1951 les traités de Paris instituant la Communauté Economique du Charbon et de l’Acier (CECA). C’est alors le début d’une longue marche vers l’intégration de l’espace européen.
B°) De la CECA à l’UE : La CECA, cet embryon d’une Europe économique unie est accompagnée dès 1952 par la création de la Communauté Européenne de Défense (CED). Cette volonté de passer d’une « Europe américaine » à une « Europe européenne » est renforcée le 26 mars 1957 par les SIX qui mettent sur pied la Communauté Economique Européenne (CEE) et la Communauté Européenne de l’Energie Atomique (CEEA ou EURATOM), par la signature du Traité de Rome.
La CEE se veut un marché qui vise ainsi la libre circulation des personnes, des biens et des services, la création d’une union douanière, l’harmonisation des politiques économiques surtout dans le domaine agricole et l’élimination progressive des inégalités sociales et régionales.
L’EURATOM, quant à elle, se fixe pour objectif la réduction de la dépendance énergétique européenne par la création d’une puissante industrie nucléaire.
Ensuite, en 1973, les SIX décident, par les traités de Bruxelles, de s’ouvrir au Danemark, à l’Irlande et au Royaume Uni donnant ainsi naissance à l’Europe des NEUF. L’entrée de la Grèce en 1981 consacre l’Europe des DIX qui fait place à l’Europe des DOUZE en 1986 avec l’adhésion de l’Espagne et du Portugal.
Par ailleurs, les changements géopolitiques majeurs de la fin des années 1980 poussent les « 12 » à approfondir leur politique d’intégration de l’espace européen. C’est dans ce cadre que s’inscrit le traité de Maastricht signé le 7 février 1992 et entré en vigueur le 1er novembre 1993. Ce traité institue l’Union Européenne (UE) qui se substitue à la CEE. C’est ainsi que le traité d’Amsterdam entré en vigueur en 1995 en avalisant l’adhésion de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède porte le nombre de pays membres de l’UE à 15. En même temps, l’Espace Schengen qui vise la suppression des contrôles au niveau des frontières est né.
Puis, dans sa volonté d’éradiquer toute velléité de retour au communisme dans les pays de l’Est, l’UE ouvre largement ses portes, avec l’adhésion historique de huit PECO (Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Pologne, Slovaquie, Slovénie et République Tchèque) et de deux pays insulaires méditerranéens (Chypre et Malte) le 1er mai 2004. Avec l’Europe des VINGT CINQ, l’UE devient le premier marché de libre échange dans le monde avec plus de 45O millions de consommateurs. L’adhésion de la Roumanie et de la Bulgarie le 1er janvier 2007 consacre désormais l’Europe des VINGT SEPT. L’élargissement devra se poursuivre car l’entrée de la Croatie est prévue pour 2013, et d’autres comme la Turquie frappent aux portes de l’UE.
Cette politique intégrationniste poursuivie depuis plus d’un demi-siècle s’appuie sur des institutions solides qui assurent le fonctionnement de l’UE.
2°) Les organes de fonctionnement de l’UE : Le fonctionnement de l’UE est assuré par un arsenal institutionnel de deux ordres : des institutions intergouvernementales et des institutions intercommunautaires.
Les premières correspondent aux organes centraux et décisionnels de l’Europe communautaires. Il s’agit :
- du Conseil Européen dont le siège est à Bruxelles et qui réunit au moins deux fois par an les chefs d’Etat et de gouvernement. Il a pour mission de fixer les grandes orientations, d’impulser les sujets les plus importants et de gérer la coopération intergouvernementale dans les domaines de la politique étrangère, de la sécurité commune et des affaires intérieures. Il a désormais, à sa tête, un Président en la personne du belge HERMANN VON ROMPUY.
- du Conseil des Ministres siégeant également à Bruxelles et correspondant au principal centre de décisions qui adopte des « lois européennes » (directives et règlements) après l’avis des députés européens ;
- de la Commission Européenne, véritable moteur de l’UE siégeant à Bruxelles, d’un mandat de 5 ans et chargée de proposer de nouvelles lois, de contrôler l’exécution pratique des projets de l’UE et du budget mais aussi de représenter la communauté dans les négociations internationales comme celles de l’OMC, de l’UE/ACP ou tout récemment dans le cadre du G20 ;
- du Parlement Européen qui siège à Strasbourg et qui est un organe législatif et de contrôle du budget et des autres institutions de l’Union. Il peut renverser la Commission par motion de censure et peut créer des commissions d’enquête qui ainsi en charge les préoccupations des citoyens européens ;
- du Ministère européen des affaires étrangères chargé de coordonner la politique extérieure de l’UE.
Les secondes sont, quant à elles, deux organes de contrôle, deux organes consultatifs et deux institutions financières et monétaires. Il s’agit successivement :
- de la Cour de Justice basée à Luxembourg et dont le rôle est de défendre le droit communautaire pour son application pratique et son interprétation identique dans les Etats membres. Les juges européens sont ainsi chargés de régler les différends relatifs à l’interprétation des traités et des lois ;
- de la Cour des Comptes ayant pour mission de veiller au bon usage des fonds publics et donc de contrôler la légalité et la régularité des recettes et des dépenses communautaires ;
- du Comité Economique et Social permettant la participation de la société civile par l’intermédiaire des représentants des employeurs, des syndicats, des consommateurs, des Ecologistes et de manière générale tous les groupements d’intérêt qui émettent alors leurs avis sur les nouvelles initiatives européennes ;
- du Comité de régions qui confère à la construction européenne sa dimension locale en permettant aux élus régionaux, aux maires et autres autorités locales qui le composent d’émettre leurs avis avant la prise de toute décision concernant par exemple l’éducation, l’emploi, la santé ou les transports ;
- de la Banque Centrale Européenne (BCE) basée à Francfort et dont le rôle est d’assurer la stabilité monétaire de l’UE, celle des prix et de l’économie en définissant la politique monétaire en relation avec les banques nationales et enfin de gérer l’Euro ;
- de la Banque Européenne d’Investissement (BID) dont le siège est à Luxembourg et qui est spécialisée dans les investissements à long terme principalement au niveau des régions défavorisées (construction d’infrastructures de communication, investissements dans les PME pour la création d’emplois et financement de projets environnementaux). La BID accorde, enfin, des prêts pour accompagner le processus d’élargissement de l’Union et mettre en pratique la politique d’aide au développement des pays du Sud.
Ainsi, cette armature institutionnelle qui fonctionne de manière synchronique et complémentaire montre que la construction européenne est une réalité mais aussi et surtout son originalité. En effet, l’UE se différencie des autres CER ou ACR par son modèle d’organisation qui va au-delà de la coopération entre Etats. En fait, les Etats membres ont délégué une partie de leur souveraineté nationale à l’UE. Ce qui confère à l’organisation un pouvoir réel fondé sur des institutions démocratiques et indépendantes mandatées dans des domaines où l’action commune est plus efficace que celle des Etats agissant séparément.
En somme, après plus d’un demi-siècle de cheminement vers une intégration économique et politique progressive des nations du vieux continent, l’UE a pu réaliser d’importants acquis communautaires.
II) REALISATIONS, PROBLEMES ET PERSPECTIVES DE L’UE.
1°) Des réalisations multiformes, symboles du dynamisme de l’UE.
A°) Les réalisations économiques et monétaires : Elles concernent, en premier lieu, l’agriculture par la mise en place depuis 1962 de la Politique Agricole Commune (PAC). Celle-ci est un ensemble de mesures qui visent quatre objectifs majeurs :
- garantir l’approvisionnement de la communauté en produits agricoles ;
- assurer des prix raisonnables aux consommateurs ;
- assurer des revenus équitables aux agriculteurs ;
- accroitre la productivité de l’agriculture.
Pour ce faire, la PAC a été accompagnée par la mise sur pied d’un Fonds Européen d’Orientation et de Garantie Agricole (FEGOA). Le rôle du FEGOA est, ainsi, de financer la PAC et de soutenir les prix. Avec la PAC, « l’Europe Verte », autrement dit cet ensemble de mesures prises par le Conseil des ministres pour organiser le marché des produits agricoles, est née. En conséquence l’agriculture européenne s’est modernisée et connait des rendements très élevés.
En second lieu, les réalisations concernent l’énergie, l’industrie, le marché intérieur et la monnaie commune.
Sur le plan énergétique, depuis 1951, la CECA avait posé les jalons de l’actuelle Politique Energétique Commune (PEC) que justifie une forte dépendance énergétique (en gaz et en pétrole surtout) des pays de l’UE. D’ailleurs, la coopération dans le domaine énergétique est renforcée dès 1958 par l’entrée en vigueur de l’EURATOM dont l’objectif principal est le développement de l’utilisation civile du nucléaire.
Ensuite, dans le domaine industriel, on assiste depuis 1968 à la suppression des droits de douane et à un renforcement de la coopération dans les domaines aéronautique et aérospatial à travers AIRBUS Industrie et ARIANE Espace.
Par ailleurs, un Tarif Extérieur Commun (TEC) en vigueur montre que l’union douanière est une réalité. C’est un véritable marché européen unique créé en 1993 et fruit de l’Acte Unique Européen ratifié en 1986 et du traité de Maastricht. Ce marché est un espace sans frontière doté d’une législation fiscale et de politiques sociales harmonisées. Cet espace sans frontière c’est également l’Espace Schengen qui regroupe les pays de l’UE (exceptés le Royaume Uni, l’Irlande, la Roumanie et la Bulgarie) et 3 pays européens non membres de l’UE (la Suisse, la Norvège et l’Irlande).
Enfin, l’intégration économique se consolide davantage avec une politique monétaire exemplaire. Cette dernière esquissée en 1979 par le Système Monétaire Européen (SME) a abouti, le 1er janvier 2002, à l’entrée en vigueur de l’EURO, monnaie commune que partagent désormais 17 pays ( les 11 pays fondateurs de l’Euro en 1999 : Allemagne, Autriche, Belgique, Espagne, France, Finlande, Irlande, Italie, Luxembourg, Pays-Bas et le Portugal auxquels se sont joints la Grèce en 2001, la Slovénie en 2007, le Chypre et le Malte en 2008, la Slovaquie en 2009 et l’Estonie en 2011). D’ailleurs, face à la crise de l’endettement affectant les PIIGS et de nombreux pays de la zone euro, un Fonds de Solidarité Financière est mis sur pied.
Ces différentes réalisations ont fait de l’UE le 2e pôle économique derrière l’ALENA, une grande puissance agricole et industrielle mais aussi et surtout la première puissance commerciale du monde et l’un des premiers marchés de consommateurs dans le monde. L’Euro a également accru le poids économique et financier de l’UE et transformé cet espace en un véritable foyer d’accueil de devises étrangères au détriment des USA. Ce qui confère à l’UE une plus grande responsabilité dans les négociations commerciales internationales notamment au sein de l’OMC.
B°) Les autres réalisations : Elles touchent des domaines variés comme la défense (Communauté Européenne de Défense en 1952, Politique Etrangère de Sécurité Commune esquissée en 1991, Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe en 1990, signature du Pacte de stabilité en mars 1995), les droits de l’Homme, l’information, la sécurité routière, la protection de l’environnement et la coopération internationale. Dans ce dernier domaine l’UE entretient des relations avec la plupart des ACR du monde comme le MERCOSUR mais la coopération qu’elle a nouée avec les pays d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique (ACP) est de loin la plus originale. Celle-ci est un cadre de coopération multilatérale Nord-Sud qui liait, lors de la Convention de Cotonou de 2000, 77 pays ACP et 15 pays de l’UE. Toutefois, les privilèges dont bénéficiaient les ACP sont remis par les Accords de Partenariat Economique qui feront bientôt place aux accords de Cotonou. Par conséquent, l’espace de libre concurrence des marchandises et des services issu des APE entrainera des conséquences multiformes.
Enfin l’UE est dotée depuis 2010 d’une charte communautaire issue du Traité de Lisbonne. Celle-ci apporte des innovations majeures dans le fonctionnement de l’UE
En gros, ces réalisations importantes et multiformes ont fait de l’UE une grande puissance
économique. Mieux son intelligente politique de coopération multilatérale fait d’elle une puissance diplomatique et politique contestant souvent l’hégémonie américaine. Toutefois, l’UE est confrontée à des problèmes de nature variée qui posent la question de son devenir.
2°) Problèmes et perspectives de l’UE.
A°) Les défis de l’UE : Ils concernent, tout d’abord, les disparités régionales de développement socio-économique au sein des Etats et entre eux-mêmes. En effet, les Six pays fondateurs de la communauté, le Royaume Uni et les pays scandinaves membres de l’UE sont de loin plus avancés que les PECO et certains pays méditerranéens comme le Portugal et la Grèce tant du point de vue des revenus, de l’IDH que de l’IDT.
Ces Six nations constituent, à plusieurs égards, le centre de gravité de l’économie et de la politique de l’UE.
De même, l’adhésion des 12 derniers venus, en augmentant plus la taille démographique de l’UE que son RIB, pose de sérieuses difficultés. Ces dernières ont pour noms la baisse des fonds alloués aux agriculteurs dans le cadre de la PAC et du financement des projets de développement dans les régions défavorisées du fait que les fonds sont restés au même niveau alors que le nombre de nécessiteux a considérablement augmenté. Cette PAC est, en plus, décriée par les paysans français avec sa nouvelle politique des quotas. Absorbant près de 40% du budget, la PAC et « l’Europe Verte » sont responsables de nuisances multiformes à l’environnement : dégradation des sols, pollution des espaces maritimes et hydrographiques, pollution de l’atmosphère, épuisement des ressources minières et énergétiques, entre autres. A cela s’ajoute la controverse autour des OGM qui sont jugés responsables de certaines maladies comme celle de la vache folle.
L’UE est confrontée au problème de la concurrence entre les industries des pays membres pour ainsi dire l’absence d’une politique industrielle commune. C’est aussi le cas en matière des questions géopolitiques où très souvent les divisions entre nations européennes déteignent sur la bonne marche de l’UE..
Par ailleurs, l’UE doit relever le défi de l’adhésion populaire au projet communautaire. En effet, il est reproché à l’Union de se préoccuper plus des problèmes des hommes d’affaires et des politiques des Etats au détriment des sociétés. Ces frustrations expliquent avec la déprime économique, la précarisation de l’emploi, la hausse du chômage et la baisse des salaires la montée de l’Euro scepticisme. C’est dans ce cadre que s’inscrit également la problématique de l’élargissement avec les tenants d’un gel temporaire comme l’Allemagne, les préoccupations historico-culturelles éloignant la Turquie, entre autres points de discorde.
De même, la crise de l’endettement affectant la zone Euro, à travers ses maillons faibles représentés par les PIIGS, est un épineux problème qui soulève ainsi le débat sur le retour ou non aux monnaies nationales.
La question de prise en charge de la sécurité européenne est, enfin, un défi important, dans un contexte où malgré la fin de la guerre froide, les USA exercent leur tutelle sur le continent à travers l’OTAN.
B°) Les perspectives : Conformément au rêve de Winston Churchill dévoilé à Zurich en 1946 de voir se réaliser les Etats-Unis d’Europe, l’UE projette de s’ouvrir davantage aux autres nations du continent.
En même temps, face à la crise actuelle de la dette, l’UE prévoit l’adoption d’un nouveau traité plus coercitif. Ce traité a comme principale règle d’or que les budgets publics doivent être en équilibre ou en excédent sauf circonstances exceptionnelles. Les Etats devront aussi transcrire dans leur constitution ce principe sous peine d’être poursuivis par la cour de justice européenne.
En somme, les réalisations économiques (PAC, Euro, TEC, Espace Schengen, etc.) et l’intelligente politique étrangère de l’UE montrent que la construction européenne est en bonne voie même si des obstacles et ou des manquements pluriels freinent l’élan de ce géant des CER.
CONCLUSION : L’Union Européenne est le fruit d’une longue œuvre d’édification motivée par la recherche d’une unité économique voire politique des nations du vieux continent. Ses institutions solides au mode de fonctionnement très original et ses réalisations économiques et financières lui ont conféré un poids important sur l’échiquier économique et politique international et au-delà un rayonnement commercial exceptionnel. Toutefois, la marche fulgurante vers l’intégration bute sur certains obstacles liés à des considérations nationalistes, historiques, culturelles et à la réticence d’une frange importante des populations dans certains pays membres comme l’Allemagne.