LE MODELE ECONOMIQUE JAPONAIS : CARACTERISTIQUES ET PROBLEMES
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INTRODUCTION : De 1968 à 2009, l’Empire du Soleil Levant, atomisé en 1945, s’est hissé confortablement au rang de deuxième puissance économique mondiale. Le Japon s’est ainsi érigé en un véritable modèle de réussite de développement socioéconomique en Asie Pacifique et au-delà dans l’espace mondial.
Quelles sont alors les caractéristiques du modèle économique nippon ? Quels sont, enfin, les problèmes qui lui sont liés ?
I- LES CARACTERISTIQUES D’UN MODELE ECONOMIQUE SPECIFIQUE.
1°) Un « Etat capitaliste de développement ».
L’Etat nippon, depuis l’ère Meiji, est un acteur clé du développement socioéconomique du pays. C’est un Etat à la fois pilote et régulateur du jeu économique à travers les actions combinées de la Banque du Japon, du MITI (ou METI) et du Ministère des Finances.
Tout d’abord, le Ministère des Finances chargé d’établir le budget, de contrôler les opérations financières et boursières a, aussi en charge, le prélèvement de l’impôt. La Banque du Japon est, quant à elle, responsable de la gestion du Yen et de la politique macroéconomique en veillant à assurer un environnement favorable aux activités économiques. Enfin, le MITI (Ministère du Commerce International et de l’Industrie) regroupe des structures de réflexion et de décision concernant la politique industrielle, la recherche, le commerce extérieur et les aides financières aux entreprises. Le MITI a, ainsi, une mission d’information grâce à un réseau mondial, dans les domaines économique, commercial, scientifique et technologique. Il réglemente les normes de fabrication et les brevets, encourage la recherche et les économies d’énergie, pilote les mutations de l’appareil productif par un encouragement à la coopération entre les entreprises, par des aides aux restructurations et par un repérage des secteurs porteurs ou d’avenir.
En bref, l’Etat japonais est interventionniste et favorise, à travers ses trois instruments d’intervention, la compétitivité par une pression fiscale faible et des dépenses sociales et militaires très limitées. Cette politique est cependant menée en parfaite collaboration avec surtout le patronat regroupé au sein d’un puissant syndicat appelé le KEIDANREN surtout lorsqu’il s’agit d’élabore de nouvelles stratégies économiques ou de régler les conflits. C’est dans ce cadre que le secteur de la Recherche et Développement est financé à hauteur de 3,5% du PIB en 2009 avec 20% assurés par l’Etat et 80% par les privés. C’est dans ce cadre également que s’inscrit l’adoption d’un plan de relance de l’économie nationale fortement secouée par la crise née aux USA en 2008. Ce plan d’un montant de 600 milliards d’euros (75.000 milliards de yen) vise à soutenir la consommation autrement dit à relancer le marché intérieur, à conserver les emplois, à assurer l’activité de prêt aux entreprises en difficulté et à soutenir les exportations. C’est le plus important plan jamais mis en place par un PID témoignant la volonté du Japon de sortir le plus rapidement possible de la crise.
2°) Une économie dualiste.
Le dualisme se manifeste par une opposition dans le système économique entre les grandes firmes et les Petites et Moyennes Entreprises (PME).
En effet, les Zaibatsu de l’ère Meiji ont fait place, au lendemain de la deuxième guerre mondiale, à de puissantes entreprises appelées KEIRETSU. C’est un regroupement de plusieurs sociétés autour d’une banque qui est le pivot du groupe et disposant d’un SOGO SHOSHA. Celui-ci est une société de commerce multifonctionnelle au service d’autres entreprises : négoce au sein de l’espace national et international, fonction de communication, d’organisation et de coordination ou de financement des entreprises se lançant sur des marchés ou dans des secteurs nouveaux. Ces entreprises géantes dominent ainsi l’industrie, le commerce et le secteur bancaire japonais. Mais, bon nombre d’entre elles sous-traitent les PME.
Les PME correspondent à des sociétés ayant moins de 300 salariés. Elles représentent près de 90% du tissu industriel et emploient 75% de la main-d’œuvre environ et assurent l’essentiel de la production manufacturière. Ces PME sont des sous traitants des grandes firmes dont elles dépendent. Ce sont elles d’ailleurs qui sont les plus frappées par les délocalisations vers les pays d’Asie pacifique et principalement la Chine. Elles sont obligées alors de proposer de bas salaires ou de plus en plus des contrats à durée déterminée (33,5% des travailleurs en 2007 contre 17,6% en 1987), pour faire face à cette situation.
3°) Une société du consensus et du progrès.
L’une des caractéristiques de la société japonaise est le haut niveau de formation de sa population avec près de 90% des jeunes ayant un diplôme équivalent au baccalauréat et la banalisation du titre d’ingénieur. C’est le résultat d’un système éducatif performant et des vertus confucianistes très répandues dans le monde sinisé (loyauté, respect des hiérarchies, amour du travail bien fait et du progrès, etc.).
C’est ainsi que l’entreprise nippone ou KAISHA est une microsociété régie par une stratégie de survie et conditionnée par le jeu de la concurrence. L’identification à cette organisation s’exprime par la rareté des grèves (grèves qui ne signifient pas arrêt du travail parce que le patron perdrait de l’argent), le faible absentéisme, le calme, la discipline et l’ardeur au travail. La formation dans l’entreprise, l’emploi à vie, la polyvalence et les réseaux de relations sont autant de facteurs qui identifient l’employé à l’entreprise et sou tendent le consensus.
Enfin, la société japonaise, postindustrielle, est l’une des plus tournées vers l’épargne et parfois de loin devant l’Allemagne, la France et les Etats-Unis.
Par conséquent, ce modèle de développement économique original a fait du Japon une grande puissance industrielle, commerciale et financière. Ainsi, l’industrie japonaise qui occupe 26,90% des actifs et participe à hauteur de 23,10% du PIB est l’une des plus dynamiques au monde tant par ses innovations technologiques que par ses stratégies ingénieuses (flux tendus, veille technologique, dumping, délocalisations, etc.). Deuxième puissance industrielle au monde, le Japon occupe des positions très honorables dans la robotique, les nanotechnologies, l’automobile, l’audiovisuel, la biotechnologie, les télécommunications, les constructions navales, la pétrochimie, les machines-outils, les industries de matériels de transports, la bande dessinée, entre autres. Cette industrie fortement mondialisée est caractérisée aussi par le gigantisme de certaines firmes qui sont parmi les plus grandes au monde.
La qualité des produits japonais, les stratégies commerciales du pays conjuguées aux difficultés de pénétrer le marché intérieur nippon expliquent la réussite commerciale de cet archipel dont l’excédent des échanges extérieurs (39,945 milliards de $ en 2009 en dépit d’un contexte mondial de crise) participe beaucoup à sa puissance financière. Celle-ci est symbolisée par la bourse de Tokyo (2e place financière derrière WALL STREET) mais aussi et surtout par l’importance des flux d’IDE et d’APD issus du Japon, par son statut de 2e détenteur de bons du trésor américain et de 3e contributeur au budget de l’ONU.
En somme, le modèle économique japonais se caractérise par un Etat pilote et régulateur des activités économiques en système capitaliste libéral, un dualisme entre KEIRETSU et PME et une société attachée au culte de la concertation et de la compétence et donc du progrès. Toutefois, ce modèle de développement socioéconomique est de plus en plus mis en mal par des facteurs à la fois endogènes et exogènes.
II- UN MODELE CONFRONTE A DES PROBLEMES MULTIFORMES.
Le modèle économique du Géant présente une certaine vulnérabilité liée à des facteurs naturels, historiques, géopolitiques et sociodémographiques.
1°) Les faiblesses naturelles : Avec une taille modeste de 377.800 km2, le Japon est un archipel essentiellement montagneux. Ainsi, le pays est confronté à de sérieux problèmes de disponibilité de terres cultivables d’où une dépendance alimentaire pour de nombreux produits. C’est aussi un pays qui souffre beaucoup de la fréquence des séismes (celui de 2011 avec une magnitude de 9,0 sur l’échelle de Richter est responsable d’un désastre socioéconomique et écologique sans précédent), des volcans et des typhons.
La géologie du Japon explique également sa très forte dépendance énergétique du fait de la faiblesse des ressources énergétiques et principalement du pétrole. Son taux de dépendance énergétique de 82,38% en 2009 explique la forte sensibilité du Japon aux chocs pétroliers qui portent, ainsi, un coup sérieux aux exportations, une des principales forces de l’économie nippone.
2°) Les faiblesses héritées : En premier lieu, la mise en valeur du territoire japonais est très contrastée. Ainsi, au « Japon de l’endroit » (de Tokyo à Kyushu) concentrant l’essentiel des agglomérations, de la population et des richesses s’oppose « le Japon de l’envers » (de Tokyo à Hokkaido), région à faible occupation humaine et économique pour ainsi dire à forte tonalité rurale.
Le succès du modèle de développement socioéconomique est aujourd’hui mis à mal par la précarisation de l’emploi et des conditions de vie de certains travailleurs (jeunes, femmes et séniors devenus des « Waakingu pua »). Dès lors, on assiste au relâchement de la cohésion sociale, à la montée du stress, des suicides, de la criminalité et de la violence scolaire.
3°) Les problèmes démographiques et géopolitiques :
La population japonaise vieillit plus vite que n’importe quelle autre population au monde. Cette situation s’exprime par un TAN de -0,05%, un ISF de 1,34, un âge médian de 442,2 ans, une part des personnes âgées de 65 ans et plus de 21,90% contre 13,33% pour les moins de 15 ans en 2009 et une espérance de vie de 83 ans en 2011. La vieillesse de la population devient un fardeau de plus en plus lourd pour les systèmes des soins médicaux et des pensions. Et dans les années à venir, on assistera à une population active en baisse qui devra épauler l’augmentation des coûts de ce fardeau avec comme toile de fond le rétrécissement du marché intérieur, un des points forts de l’économie avec ses 126 millions consommateurs au revenu annuel très élevé de 41.138$ chacun.
Ensuite, le Japon traine un lourd héritage lié à la deuxième guerre mondiale. Ainsi, s’expliquent les rivalités qui l’opposent à la Chine (y compris le différend à propos du pétrole en mer de Chine), à la Corée du Nord et même à la Russie (conflit à propos des Iles Kouriles et de la Sakhaline), entre autres. Dans cette situation, le Japon privé de l’arme atomique et du droit de veto au Conseil de sécurité, malgré ses liens avec les Etats-Unis, pèse moins lourd que ses rivaux.
Enfin, le modèle nippon est menacé par un niveau d’endettement exorbitant de 233,1% du PIB en 2011 d’où la dégradation de sa note de confiance par l’agence Moody’s.
En gros, le modèle économique japonais présente certaines faiblesses qui ont pour noms une dépendance énergétique sans cesse croissante, une vieillesse inquiétante de la population, la fréquence des cataclysmes naturels et la montée des problèmes sociaux aggravée par la crise économique mondiale de 2008-2009 qui a engendré un endettement préoccupant.
CONCLUSION : Le modèle économique japonais est, en somme, caractérisée par le rôle de régulateur et de pilote d’un « Etat capitaliste de développement », par des structures économiques marquées par le gigantisme et la mondialisation très poussée des Keiretsu, le rôle de piliers fondamentaux de la production et de l’emploi industriel des PME et par une société du consensus et du progrès.
Néanmoins, le succès économique et social du Japon est de plus en plus menacé par une dépendance énergétique et minière défavorable à la compétitivité, un dette exorbitante du pays, par une vieillesse inquiétante de la population et par la remise en cause de la cohésion sociale imputable à la dégradation des conditions de vie de certaines catégories de travailleurs, à la précarisation de l’emploi et aux crises économiques récurrentes.